Un pas de côté pour mieux avancer
Quelques plantes endémiques dans ma valise, et une belle tendinite
Une expérience riche et complexe.
Comme mes enfants vont à l’école ici (en Australie), et que j’étais remplie de beaux discours à leur égard sur le fait d’affronter les situations inconfortables, j'ai également ressenti le désir de me confronter, et de reprendre un poste en pâtisserie dans un hôtel de luxe.
Comme eux, je suis allée à mon premier jour la boule au ventre. J’avais peur de retravailler pour quelqu’un d’autre, d’être rouillée, de ne pas être à la hauteur et de me reconfronter à des formes d’autorité que je pensais ne plus avoir à gérer, étant donné que presque toutes les cuisines présentent des dysfonctionnements d'une manière ou d'une autre (sauf, bien sûr, lorsqu'il s'agit de la sienne, on est plus à l’aise dans son propre désordre).
C’est plus confortable d’être chez soi avec sa logique, son leadership et que ce soit aux autres de s’y adapter. Mais, j’avais envie d’essayer pour pouvoir éteindre mon cerveau, revenir à des tâches que j’ai pu faire avant, ne pas porter les responsabilités d’une boîte sur les épaules, me soumettre à d’autres exigences, même si ce n’est pas mes goûts ni mon style de pâtisserie.


Quelques ingrédients que je rammenerai dans ma valise : bush tomato, cinnamon myrtle, native basil, rosella, wattleseed, lemon myrtle, eucalyptus peppermint gum, riberry (lilli pilli), macadamia nuts, native blood lime, davidson plum.
La limite que je m’étais fixée était de travailler pour un établissement qui utilise des produits de saison, bio et locaux, ce qui n’est pas si facile à trouver.
En ce qui concerne les dressages, j'ai dû me conformer à une demande 'plutôt australienne' qui se veut décontractée, très familiale, sans ornements superflus, sans présentations raffinées, des compositions que je n'avais pas réalisées depuis un certain temps. Il est plutôt rassurant de noter qu'à l'image du prêt-à-porter et de la haute couture, certaines modes que l'on croyait disparues à jamais refont surface. Je me suis surprise à éprouver de la tendresse pour des dressages que j'aurais pu qualifier de kitsch il y a peu de temps.
Bon, à certains moments, j'ai trouvé ça vraiment kitsch…
Mais au moins, je suis sûre d’une chose : je sais encore écrire à la main avec une poche à douille de chocolat…
La cuisine comme la pâtisserie se renouvellent, se réinventent, jouent avec les codes esthétiques d’antan. Il y a quelques mois, je suis tombée sur un livre de cuisine des années 80 dans une brocante à Lisieux avec des photos de préparations en gelée dans des grands plats en inox, j’avais l’impression d’être sur mon feed instagram. C’était semblable à ce que je vois défiler pour les buffets de la fashion week aujourd’hui.
J'apprécie lorsque des références populaires font leur apparition sur de grandes tables. Ce qui est évident, c'est que, lorsque c’est réussi sur le plan visuel ou gustatif, on le perçoit immédiatement, comme lorsqu'il s'agit d'un échec.
La redécouverte de certaines épices et plantes sauvages
Cette expérience professionnelle fut complexe et positive. J’ai retrouvé ici le plaisir de l’adrénaline du service, de bosser en équipe avec des personnes passionnées, ça m’a rappelé pourquoi j’aime ce métier, nourrir et faire plaisir. Je ne ramènerai pas grand-chose comme recettes, mais plutôt des ingrédients natifs comme les graines de wattleseed (Acacia victoriae), des graines natives d'acacia comestibles traditionnellement et initialement consommées dans la gastronomie et la culture aborigène. Elles sont consommées grillées ou séchées (et moulues en farine). Avec ses arômes de chocolat, de café et de noisette, c’est une graine très aromatique hypoglycémiante qui convient bien aux diabétiques, car elle permet de remplacer la cannelle, le chocolat ou le café. Je l’ai testé dans des panna cottas, des crèmes glacées, et c’était délicieux.
J’ai adoré redécouvrir et utiliser le lemon myrtle (Backhousia citriodora), la plante aromatique endémique la plus utilisée ici en cuisine et en pâtisserie. Elle est traditionnellement utilisée comme plante médicinale. Son huile essentielle présente la plus grande pureté en citral, généralement supérieure à celle de la citronnelle. Je l’utilise dans des sablés ; pour aromatiser des pâtes, des crèmes, des huiles. C’est une plante aromatique magnifique qui marche bien avec du poisson, des mijotés, des bouillons, des infusions.
Je pense que l’Australie pourrait créer sa propre pâte de curry signature avec une grande quantité de lemon myrtle, des bush tomatoes (Solanum centrale) : petites tomates séchées du bush australien qui poussent dans le désert mélangées à de l’ail, du curcuma.
Les feuilles de curry ou kaloupilé s’adaptent parfaitement au climat d’ici, on les trouve souvent. Elles font aussi partie intégrante de la cuisine indienne, sri-lankaise et birmane.




Bruce Pascoe, qui a écrit Dark Emu en 2012, a permis de revaloriser des plantes natives oubliées considérées comme des plantes « maraîchères » cultivées dans la culture aborigène. Une vision loin de la définition du chasseur-cueilleur qui a longtemps servi comme argument pour justifier l’appropriation de terres aborigènes à des fins agricoles par les colons. Il a lancé une ferme pilote pour relancer des cultures oubliées comme celle de la Themeda ou Kangaroo grass. Ce projet est porté par Black duck foods, une entreprise sociale aborigène qui souhaite influencer l'orientation de l'agriculture australienne vers un avenir plus durable, plus inclusif pour les peuples aborigènes et la commercialisation de ces ingrédients alimentaires.
Vers une horizontalité des tâches
Même si cette expérience professionnelle arrive à son terme comme c’était prévu, elle m’a permis de me remettre en mouvement et en difficulté. Je repars avec une tendinite à l’épaule bien corsée, une prise de conscience que l’autorité pour l’autorité, ça reste une question inextricable et c’est bien plus facile si on a le privilège de la contester ou de l’interroger. Quand c’est un choix, comme ce fut mon cas, ça a pu faire toute la différence quand vraiment ça manquait de sens (à mon sens).
Cette expérience m’a aussi permis de me questionner sur la hiérarchisation des tâches d’une profession et pourquoi se remettre au service du projet de quelqu’un d’autre serait synonyme de retour en arrière.
En France, on a souvent une préférence pour la progression verticale dans les carrières ; une fois arrivé au sommet, on a tendance à rester là-haut (et s'y enfermer) dans un esprit d'ascension unidirectionnel, alors que peut-être les responsabilités d'un leadership ne nous conviennent pas ou plus.
Je trouve ça dommage que l’on perçoive ou identifie une forme de régression à l’idée de revenir à un poste technique, et c’est un aspect que j’apprécie ici, une valorisation de l’échec comme expérience instructive, et plus de respect pour les métiers techniques qui sont ici parmi les mieux payés au monde.
Si je devais personnellement me questionner, je dirais que c’est aussi lié à la perception de notre propre statut social, à la façon dont on se présente au collectif et l’imaginaire que l’on peut développer autour de nos métiers. Mais l’avantage, c’est que ça permet de s’y confronter vraiment et de ne pas oublier l’ingratitude de certaines tâches liées à des postes pourtant essentiels, de maintenir une certaine empathie pour ses collaborateurs, trices. Apprendre que la phrase «Ce n’est pas mon problème » n’est pas une réponse valable.
Le covid a laissé beaucoup de stigmates dans les métiers de bouche, de l’hôtellerie et de la restauration autant en France qu’en Australie. Je pense à mes nombreuses amies ici et en France qui ont dû déposer le bilan, vendre et sauver les meubles ces deux dernières années. Faire le choix difficile de lâcher prise. Je l’avais un peu anticipé en vendant mon labo et mon service catering l’année dernière parce que ça commençait aussi tout simplement à moins bien marcher (entre autres).
Je continue à penser que c’était une excellente décision autant pour ma famille que pour moi-même, une décision qui n’a pas été simple non plus parce qu’elle révélait un manque d’ambition et de ténacité chez moi.
Le plus dur a aussi été de dire aux personnes avec qui je travaillais : « Voilà, c’est la fin, on s’arrête ici. » On a pleuré ensemble parce qu’ils/elles partageaient mon échec, des émotions contradictoires, et ont dû rebondir dans l’urgence.
C’était nécessaire, mais pas moins douloureux. J’ai beaucoup appris depuis, grandi dans l’inconfort comme dans la douceur de ce ciel rose d’aujourd’hui que j’imagine déjà en dessert lacté aussi ouaté qu’une barbe à papa naturopathique.
Je vous embrasse bien fort et je reprends la semaine prochaine mon cycle sur le végétal, et l’arrivée du printemps qui se superpose à l’arrivée de l’automne ici.


🍃Curry australien Jen HS X Roellinger 🙌
Bravo et merci pour ta sincère sincérité Jennifer ♥️