Rentrer à la maison et sentir le printemps dans sa chair.
Interview de Fleur Godart pour Finefleursaintouen
Je n’ai pas écrit la semaine dernière parce que je faisais mes valises et préparais mon retour sur Paris, avec toutes les émotions enchevêtrées qu’offrent les jours avant le départ d’enlacer les visages ridés que je ne reverrai pas : la famille, les amis si proches de mon cœur malgré la distance. Mais je suis aussi superheureuse d’être rentrée. Si longtemps mon cœur était scindé en deux parties égales. Avec ce que j’ai construit dans le temps, j’ai planté mes racines et la maison, bah c’est Paris.
Mais, j’ai bien bossé ces quinze jours et je vous ai préparé les trois prochaines newsletters que je voulais généreuses, et je suis satisfaite parce que je crois qu’elles le sont.
J’ai eu envie de donner la parole à trois personnes dont j’admire le travail et qui me semblaient parfaites pour les thématiques que je voulais aborder. La semaine prochaine sera dédiée à la cuisine des fruits en version salée avec la cheffe Minou Sabahi. J’ai tellement hâte de vous partager ce carnet de recettes créatives et colorées que je peaufine.
Je vous ai raconté la problématique que j’ai eue à trouver des légumes de qualité, ou bios, ou tout simplement de saison qui ne soient pas sous plastique, ces quatre derniers mois en Australie. Par manque d’offres maraîchères et parce qu’il n’y avait pas de culture de ‘marchés’, ou de plateforme physique ou digitale qui regrouperaient les producteur·rice·s en local (là où j’étais spécifiquement ; car, évidemment, c’est moins le cas dans les grandes villes).
Quand je suis rentrée hier, j’ai mangé des asperges vertes de la biocoop, descendu un pot de tartare d’algues comme si c’était un yaourt, des artichauts et des radis noirs bien assaisonnés, quelques œufs de truites déposés dessus, j’étais euphorique.
Ce n’est pas juste le goût qui m’a ému. C'est comme si toutes mes cellules reconnaissaient ce que la notion de fraicheur veut dire quand on croque dans un légume gorgé de vie, de minéraux, de gout, de terroir.
Soutenir les microfermes, les producteur·ices, les petites exploitations, et les projets qui cherchent à recréer une offre et du lien dans les grandes villes.
Photo de mon beau-père par Anne-Claire Héraud.
Je pense que je suis pour lui une grande énigme et c’est réciproque tant nous sommes différents en tout point et qu’on n’est pas souvent d’accord.
Mais, secrètement, je l’admire et je sais que je ne suis pas la seule. Il est né en sachant exactement ce qu’il voulait faire, où il voulait être, et il est plutôt fier de ne jamais être parti de chez lui. Voyager ? Pourquoi faire ?
Je lui reconnais de nombreuses qualités humaines qui me semblent devenir rares : La valeur donnée à la parole, une haute estime de la constance, le plaisir de la répétition des gestes, et la certitude qu’on n’a pas assez d’une vie pour apprendre à bien faire une seule et même tâche.
Il va certainement prendre sa vraie retraite officieuse cette année à 76 ans… l’officielle a déjà été prise il y a 10 ans, mais, voyez-vous, on n’arrête pas une exploitation familiale de plusieurs générations comme on jette le manche après la cognée…
J’adore cette photo de lui par Anne Héraud prise il y a 5 ans, parce qu’on voit qu’il est fier de ce qu’il fait.
80 % des petit·es exploitant·es en France partent à la retraite d’ici 2030, mais très peu des ces exploitations ont des perspectives de reprise.
Ma première invitée de ce triptyque est mon amie Fleur Godart, qui va évoquer ici son nouveau projet d’épicerie-comptoir dédiée aux paysanneries Finefleursaintouen un projet essentiel qui servira moult victuailles nourricières et permettra des rencontres heureuses.
Fleur la douce/dure a besoin de notre soutien.
Si vous connaissez son travail, vous savez qu’elle a clôturé cette année le chapitre douloureux de sa première entreprise qu’elle a portée à bout de bras pendant plus de 10 ans. Vins et volailles était l’une des premières entreprises dans la distribution de Vins Vivants, naturels pour la restauration et les professionnels.
Mais Fine Fleur, c’est sa nouvelle aventure, son nouveau projet de vie. Si vous pouvez y contribuer, même à hauteur de quelques euros, cela lui permettra d’accéder au prochain palier de son crowdfunding pour peaufiner son lieu, financer en plus des travaux, l'aménagement de la salle, et surtout de la partie épicerie avec de belles étagères pour y installer tous les produits, et vous emmener en balade au gré des saisons et des terroirs.
Interview de Fleur Godart
Photo de Valentine Jamis
Fleur, comment vas-tu ? Raconte-nous la genèse de finefleursaintouen, ton rêve, ta vision ?
Fine fleur a commencé à germer il y a des années déjà. C'est parti de l'envie de déployer ce que je faisais en tant que grossiste dans un lieu ouvert au public et du besoin de refaire du lien avec les personnes que je croise au quotidien à Debain, mon quartier à Saint-Ouen.
C'est un endroit où cohabitent historiquement beaucoup de communautés différentes, toutes issues de l'immigration, avec, pour la plupart, des racines paysannes.
On y trouvait autrefois une myriade de petits commerces hybrides : café / marchand de vins / alimentation / charbon / billard / et j'en passe, où ces différentes communautés pouvaient faire société.
Aujourd'hui, tous ces commerces ont fermé, et la solidarité est de plus en plus menacée par la gentrification. J'ai bien conscience d'y participer d'une certaine façon, mais Fine Fleur a pour ambition première d'être un lieu de vie de quartier, accessible à toustes, où chaque personne se sente légitime et bienvenue.
La question de l'accès au vin est fondamentale : j'ai grandi à la ferme avicole familiale en Dordogne, dans la conviction que le vin n'était pas pour moi.
Nous étions des paysans ; le bon vin était réservé aux bourgeois, qui avaient le capital financier pour l'acheter et l'élever, et le capital culturel pour le déguster.
C'est une rencontre fortuite sur un marché où je remplaçais mon père, à 17 ans, qui m'a démontré le contraire. Le vin qu'on m'a servi s'est "levé" de son verre et a commencé à se déployer d'une manière tout à fait inattendue, en millefeuille aromatique spectaculaire.
Il m'a raconté une histoire merveilleuse, m'a emmené en voyage dans des pays où je ne suis encore jamais allée aujourd'hui… Ça a été un choc émotionnel majeur.
Je me suis dit que beaucoup de personnes devaient être dans la même situation que moi, et que c'était vraiment dommage de passer à côté d’une source d’émotions aussi intense.
C'était il y a 20 ans, et depuis, j'ai mis toute mon énergie a questionner ce problème de légitimité et de rapport académique au vin, en le diffusant auprès des professionnel.les de la restauration de la façon la plus incarnée et sincère. J'essaie de raconter les histoires, de déployer les paysages, j’embarque les gens dans ce que le vin convoque comme souvenirs, et je les invite à partager ça à leur tour. Chaque personne a une bibliothèque sensorielle qui lui est propre, et que dès lors qu’elle s’y sent autorisée. Elle va elle aussi nous emmener en voyage en nous partageant ses sensations. C’est, je crois, une manière à la fois forte et très simple de réunir les gens, et de mettre le singulier au service du collectif.
Quelles sont les valeurs de la paysannerie et des savoirs populaires que tu aimerais transmettre dans ton quartier à Saint-Ouen ?
Fine Fleur, ce sera avant tout un lieu de rencontre et de partage autour du vin et des produits paysans de mes ami•es, mais également un lieu pour que les producteur•ices puissent venir transmettre et éduquer autour des problématiques qui sont les leurs, et puiser l’énergie et la reconnaissance dont iels ont besoin pour garder le cap. J’ai grandi sur les marchés avec mon père, et j’ai toujours été impressionnée par la manière dont il était soudain hyper sympa, drôle, dispo pour ses client•es. On oublie que ce sont des métiers qui impliquent un quotidien souvent assez solitaire. De l’autre côté, nous avons besoin en milieu urbain ont besoin de cette connexion avec la terre ; il y a beaucoup d’enfants dans mon quartier qui n’ont pas la chance d’aller voir leur famille qui est restée à la campagne, parce que souvent, c’est trop loin, trop cher, trop dangereux. Alors il me semble que la première urgence, c’est de refaire du lien entre ces deux mondes.
Comment soutenir le modèle agricole, fermier et maraîcher à échelle humaine dans les années à venir ?
Éduquer autour de l’urgence écologique et des modes de culture et d’élevage vertueux, proposer une cuisine simple et fraîche à partir de ces produits, et inviter chacun.e à se saisir, d’une manière joyeuse, de l’importance du soutien que nous devons apporter à la paysannerie aujourd’hui. 80 % des petit•es exploitant•es partent à la retraite d’ici 2030, et très peu ont des perspectives de transmission. Je sais bien que c’est un luxe de se préoccuper de la qualité de ce qu’on mange et de ce qu’on boit, mais c’est justement ça le problème, c’est qu’on nous a fait croire que c’est normal de pouvoir manger du poulet à 4€ le kilo. Si rien ne change, nous n’aurons bientôt même plus la possibilité de goûter au « vrai poulet ». Alors ça m’apparaît comme une urgence, de sortir une rôtissoire sur la place, d’installer des tables, et de proposer à tout le monde de s’y asseoir ensemble, histoire que mon père puisse raconter sa vie à d’autres personnes que nous ! Qui sait, peut-être que ça plantera quelques graines ici et là.
On connait toutes les deux l’investissement chronophage de l’entreprenariat et encore plus de la restauration. Comment trouves-tu l’équilibre vie perso-pro pour ton prochain projet ?
J’ai grandi avec un père totalement accaparé par ses soucis professionnels, les crises qui se succédaient, les mises aux normes onéreuses, les problèmes sanitaires… Je l’ai vu s’accrocher coûte que coûte toute sa vie jusqu’à s’en faire un cancer très grave en hiver 2024. Ma sœur Alice et moi avons tout lâché pour être auprès de lui pendant 8 mois, s’occuper de lui pendant sa chimio, réparer sa maison qui était devenue un véritable taudis après 30 ans de vie célibataire, et diriger la ferme tant bien que mal. J’ai appris à demander de l’aide, on ne pouvait pas s’en sortir seule. Un jour, Nathalie, une ancienne collègue de moto, s’est pointée avec son bleu de travail. Notre appel avait ricoché jusqu’à elle. Ils n’étaient plus en contact depuis longtemps, mais elle se souvenait d’un type drôle et un peu fou. Ce type-là a été convoqué avec tellement d’amour qu’il a ressurgi alors que, nous, on ne l’avait jamais rencontré. Ils se sont retrouvés d’une manière totalement improbable, et merveilleuse, et elle n’est jamais repartie. Il est aujourd’hui en rémission totale, la ferme a tenu le coup, la maison est rénovée… Je me dis que tout ça, c’est une petite leçon à appliquer à ma propre vie peut-être : trop de stress, trop de soucis, c’est la solitude et la maladie.
Donc je vais essayer de partager au sein de Fine Fleur tout ce qui m’anime, avec la plus grande sincérité, de 9 h à 19 h. En me gardant le luxe de passer mes soirées avec mes enfants, ce qui est rare dans le milieu de la restauration.
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